La réforme récente du Plan Comptable Général (PCG) en France, et en particulier la redéfinition du résultat exceptionnel, pourrait avoir d’importantes répercussions sur la manière dont la valeur d’une entreprise est perçue. Cet article vise à explorer les incidences potentielles de cette réforme sur l’évaluation de la valeur d’une entreprise.

  1. Nouvelle Définition du Résultat Exceptionnel

La réforme du plan comptable, découlant du règlement de l’Autorité des Normes Comptables (n°2022-06) en date du 4 novembre 2022, sera obligatoire pour les comptes annuels ouverts à partir du 1er janvier 2025. Toutefois, une application anticipée est envisageable dès 2023 et 2024, sous réserve d’une homologation préalable.

Parmi les changements notables, la nouvelle définition du résultat exceptionnel mérite une attention particulière. Jusqu’à présent, les entreprises bénéficiaient d’une certaine marge de manœuvre concernant la classification de certains produits et charges, tels que les pertes sur créances irrécouvrables, les dons, les libéralités, ou encore les pénalités sur marchés. Ces éléments pouvaient être classés en résultat exceptionnel, souvent avec peu de détails fournis dans les annexes des comptes annuels.

Un changement majeur concerne les opérations de cessions d’actifs. Désormais, ces opérations ne seront plus automatiquement classées dans le résultat exceptionnel. Par exemple, les comptes 675 (Valeurs Comptables des Éléments d’Actifs Cédés) et 775 (Produits des Cessions d’Éléments d’Actifs) seront reclassés pour contribuer au résultat d’exploitation ou au résultat courant. Cette modification pourrait impacter de manière significative le résultat d’exploitation de certaines sociétés, notamment celles qui procèdent régulièrement à la cession d’actifs dans le cadre d’un renouvellement, comme les sociétés de transport de biens et de personnes.

De plus, les subventions d’investissement, qui étaient auparavant systématiquement comptabilisées au résultat exceptionnel, devront désormais être intégrées au résultat d’exploitation. En revanche, les écritures de nature fiscale, telles que les amortissements dérogatoires, ainsi que les corrections d’erreurs, resteront classées dans le résultat exceptionnel.

Cependant, les opérations qui pourront encore être maintenues au résultat exceptionnel sont celles présentant un caractère non récurrent, inhabituel et majeur. Dans ce cas, une information détaillée devra être fournie dans l’annexe des comptes annuels, incluant la description de l’événement, les montants inscrits lors des exercices antérieurs, et la nature des produits et charges de l’exercice en cours.

 

  1. Impact sur l’EBITDA et la Valeur d’Entreprise

Cette réforme implique que certaines entreprises pourraient observer une évolution sensible de leur EBITDA ou EBIT, à la hausse ou à la baisse selon les cas. Outre des incidences directes, comme le montant de la participation des salariés, la détermination de la valeur basée sur des multiples d’EBITDA (ou d’EBIT le cas échéant) pourrait impacter l’appréciation du prix des actions.

L’EBITDA est souvent l’agrégat de référence dans les discussions sur les opérations de fusions et acquisitions. Il est vrai que les auditeurs s’efforcent généralement de déterminer un EBITDA « normatif » pour écarter les éléments non récurrents ou, au contraire, intégrer des opérations classées au résultat exceptionnel qui ne le sont pas réellement. Cependant, cette pratique a ses limites, car les auditeurs du vendeur et ceux de l’acquéreur n’ont pas toujours la même opinion sur ces sujets, chacun tendant à privilégier les intérêts de son donneur d’ordre.

Certains pourraient argumenter que l’EBITDA est une notion anglo-saxonne et n’aurait donc pas d’effet sur les nouvelles règles comptables françaises. Un tel argument serait cependant inapproprié. En effet, les opérations françaises reposent sur des comptes annuels français, directement impactés par le plan comptable général. De surcroît, les protocoles d’accord et autres contrats de cession font souvent référence aux lignes de la liasse fiscale. Ainsi, en France, la notion d’EBITDA est assez proche de celle de l’excédent brut d’exploitation (EBE), même si les parties à une transaction peuvent convenir de quelques ajustements.

 

  1. Clarification des Débats et Réduction des Conflits

Cette réforme devrait clarifier certains débats, la définition du résultat exceptionnel étant désormais plus précise et offrant moins de « liberté » à certains acteurs, parfois tentés d’orienter les choix comptables par opportunisme. Par exemple, l’argument consistant à écarter des revenus « exceptionnels » qui sont en réalité récurrents, en se fondant sur le respect des règles comptables, deviendra inopérant avec la réforme.

De même, lorsqu’un vendeur et un acquéreur sont en désaccord post-acquisition, notamment sur la fixation d’un prix définitif ou d’un complément de prix fondé sur une notion de résultat d’EBITDA (ou assimilés), la « liberté » actuelle du plan comptable général dans la définition du compte de résultat était susceptible de générer une confusion et de conduire les parties devant le juge et un expert.

 

  1. Flux de Trésorerie Historiques et Prévisionnels

Lors de la mise en œuvre de la méthode des DCF (Discounted Cash Flow), l’évaluateur doit généralement comparer les flux de trésorerie historiques avec les flux prévisionnels pour apprécier le caractère raisonnable de certaines hypothèses du business plan sur lequel repose une partie du modèle. Dans ce contexte, il devra être particulièrement vigilant quant au changement de paradigme concernant certaines charges et produits précédemment classés en résultat exceptionnel et qui seront dorénavant considérés comme relevant de l’exploitation. Cette appréciation pourrait s’effectuer avec une nouvelle perspective à la lumière des nouvelles règles comptables qui redéfinissent le résultat exceptionnel.

En outre, il est à noter que les cessions d’actifs futures ne sont que très rarement prises en compte dans un modèle DCF. Bien que cette approche soit prudente, elle ne reflète pas nécessairement la réalité économique lorsque les flux liés à ces opérations présentent une certaine récurrence. Elle est également susceptible d’engendrer une distorsion entre les flux de trésorerie opérationnels générés par l’activité et observés comptablement selon les nouvelles règles, avec ceux issus d’un business plan. Il convient donc de prendre en compte ces éléments au cas par cas, en fonction du modèle économique de l’entreprise et de ses données passées.

 

Conclusion

La réforme du Plan Comptable Général en France introduit des changements substantiels, notamment en ce qui concerne la définition du résultat exceptionnel. Ces modifications pourraient avoir un impact significatif sur l’évaluation de la valeur de certaines entreprises, influençant à la fois l’EBITDA, la clarté des transactions financières et les méthodes d’évaluation basées sur les flux de trésorerie. Il est essentiel pour les entreprises, les auditeurs, les avocats d’affaires et les évaluateurs de se préparer à naviguer dans ce nouveau paysage comptable et d’en comprendre pleinement les implications.

 

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