La prime de risque de marché est un paramètre fondamental à choisir lors de la détermination du taux d’actualisation, le plus souvent dans le cadre de la mise en œuvre de la méthode d’évaluation des Discounted cash flows (DCF).

La question cruciale est alors de savoir quelle prime de risque de marché retenir, ou plutôt, quelle est l’approche qui apparaît la plus pertinente, notamment au regard des autres composantes du taux d’actualisation et du contexte économique. Le présent article a pour objet de donner quelques pistes de réflexions au regard des pratiques actuelles et non de trancher un sujet qui fait toujours débat.

Les principales méthodes de détermination des primes de risque

En pratique, la prime de risque est égale à la différence entre le rendement observé sur le marché à partir d’un indice de référence et le taux sans risque. De manière assez synthétique, nous pouvons dire qu’il existe trois grandes approches pour estimer les primes de risque de marché :

– L’approche basée sur les rentabilités historiques des actifs qui repose sur l’observation des performances historiques d’un marché donné.

– L’approche implicite (ou prospective), qui est en principe déterminée à partir des prévisions de résultats et/ou de cash flow des analystes et du niveau actuel d’un indice boursier de référence.

– L’approche par sondage, où les investisseurs communiquent leur estimation de la prime de risque pour le futur. En pratique, ce type de sondage est souvent réalisé auprès d’un public diversifié (investisseurs, dirigeants, directeurs financiers et universitaires).

Malheureusement, au sein de chaque méthodologie, plusieurs variantes de calcul sont possibles, conduisant à élargir la fourchette des primes de risque observées. Par exemple, les primes de risque historiques peuvent sensiblement varier selon la période de référence, le choix de la moyenne (arithmétique ou géométrique), le taux sans risque de référence… Il en est de même des primes de risques implicites où plusieurs modèles de calculs sont usités ; les modèles basés sur les flux de dividendes futurs apparaissent assez couramment utilisés, mais là encore, quelle que soit l’approche utilisée, les variables de base peuvent varier sensiblement (taux de croissance des dividendes, indice de référence utilisé…). Ainsi, à ce jour, il n’existe aucun réel consensus dans la détermination de la prime de risque.

Au regard de ces observations, les résultats obtenus peuvent sensiblement varier selon la méthodologie et les variables utilisées. Théoriquement, l’approche implicite est celle qui apparaît la plus pertinente dans le cadre de la mise en œuvre d’une évaluation financière basée sur les DCF (tant que le marché est rationnel !). Les principaux arguments qui justifient ce postulat sont les suivants :

– La prime de risque repose sur des données prévisionnelles en cohérence avec la méthodologie utilisée dans les DCF puisque nous cherchons à actualiser des flux futurs.

– La prime de risque est déterminée sur la base d’un indice boursier et du taux sans risque actuels, traduisant ainsi la réalité du marché.

– La prime de risque historique ne reflète pas nécessairement celle du futur ; à défaut, cela revient à considérer que la prime de risque est invariable à travers le temps alors que les fondamentaux économiques et l’aversion au risque des investisseurs se modifient en permanence, y compris à long terme.

Toutefois, la pertinence de ces remarques dépendra également de la fiabilité des primes de risque qui sont parfois, très, pour ne pas dire trop, complexe ou totalement occulte. De plus, l’efficience des marchés doit également être considérée. Ainsi, la transparence des modèles de détermination des primes de risque reste un gage de fiabilité (cf. en particulier l’approche retenue par A.Damodaran).

La prime de risque de marché et son impact dans les évaluations financières

Le choix de la prime de risque de marché n’est pas neutre dans le cadre la mise en œuvre d’un DCF. En effet, c’est une variable importante du coût des capitaux propres. Il est surprenant que certains évaluateurs puissent prétendre le contraire considérant qu’il s’agit d’une donnée accessoire. Certes, il s’agit que d’un élément parmi d’autres à considérer dans une évaluation financière, mais il suffit d’observer la sensibilité de la valeur d’une action au taux d’actualisation pour se convaincre qu’il s’agit d’un paramètre fondamental dans la mise en œuvre d’un DCF. Ainsi, dans une hypothèse où seul le coût des capitaux propres serait constitutif du coût du capital (sans impact du coût de la dette) et d’un beta de 1, une modification de la prime de risque impacterait sensiblement le taux d’actualisation et, par conséquent, la valeur d’une action.

Exemple

– Taux sans risque : 2 %, prime de risque : 4 %, Beta : 1, le cout des capitaux propres (et donc le coût du capital en l’absence d’endettement net) serait de 6 %.

– Taux sans risque : 2 %, prime de risque : 8 %, Beta : 1, le coût des capitaux propres (et donc le coût du capital en l’absence d’endettement net) serait de 10 %.

Toute chose étant égale, un écart de +4 points de la prime de risque serait susceptible d’entraîner une baisse de la valeur d’une action de l’ordre de 55 % ! De tels écarts ne sont pas toujours fantaisistes, puisque l’analyse des notes d’offre AMF 2012 montre que la fourchette des primes de risque est de 5,2%-10,1% pour les banques présentatrices et de 4,5%-9,5% pour les experts indépendants. Bien entendu, un gearing de la dette important et un beta faible conduiraient à nuancer ce constat.

À titre d’information, il est également intéressant d’observer que les experts indépendants AMF testent la sensibilité de la valeur d’une action au taux d’actualisation sur une base généralement comprise entre +/- 0,5 % à 1 %. Cette sensibilité se traduit par une variation de la valeur de l’action comprise en moyenne à environ +/- 6/7 % (source : observations faites sur la base des rapports des experts indépendants des notes d’offres AMF 2012).

Ces observations confirment que la prime de risque de marché peut avoir un impact sensible sur la valeur des actions. Le choix de celle-ci doit, par conséquent, faire l’objet d’une attention particulière.

Quelles sources retenir ?

Certains évaluateurs indiquent que la prime de risque est celle du « consensus » de place à partir de moyennes de primes de risque d’origines diverses et variées. Or, l’observation des différentes primes de risque déterminées montre qu’il n’existe aucun consensus réel. Néanmoins, il n’est pas exclu de choisir la prime de risque sur la base des observations de plusieurs références en justifiant de ses choix.

Toutefois, il convient d’être particulièrement vigilant lors de la prise en compte de la prime de risque. Par exemple, retenir une prime de risque historique de 4 % conduit à minorer le taux d’actualisation et donc à probablement surévaluer la valeur d’une action. En effet, le niveau actuel peu élevé du taux sans risque (~2 %) n’est pas cohérent avec les taux sans risque utilisés pour la détermination des primes de risques historiques. De plus, cela revient implicitement à considérer que le marché est sous-évalué dans la même proportion.

Il existe une multitude de sources fournissant les primes de marché (Universitaires, Ouvrages, Sociétés de conseil…). Les primes de risques implicites sont généralement calculées par des sociétés d’analystes et de conseil (Associés en Finance, Fairness Finance, Idmidcap, primederisque.com…) ou des banques.

Les études universitaires portent principalement sur les primes de risque de marché historiques et celles obtenues par sondages.

L’analyse des notes d’offres AMF montre que les banques et les experts disposent d’une certaine latitude dans le choix de la prime de risque, tout du moins vis-à-vis de l’AMF. Les primes de risque des notes d’offre AMF sont en grande majorité des primes de risque implicites (~75 % des cas) dont les niveaux sont actuellement plus élevés que les primes de risque historiques en raison du niveau faible du taux sans risque et des conditions actuelles du marché.

Le choix des experts indépendants AMF en 2012

L’analyse du choix des experts indépendants AMF en 2012 est intéressante. Les principales références citées sont Associés en Finance (27 % des cas), Fairness Finance (12 % des cas), Natixis (13 % des cas). La moyenne des primes de risques observées sur les notes d’offres antérieures est également régulièrement utilisée (15 % des cas). Par contre, nous pouvons observer des divergences de prime pour une même source puisque certains utilisent différentes moyennes (3 mois, 6 mois…) et d’autres des données spot. Les sources Associés en Finance et Natixis sont celles qui donnent les niveaux de primes de risque les plus élevés (>8 %) alors que, sans surprise, les références aux primes historiques issues d’études universitaires sont les plus faibles (< ou = à 5 %). Les primes de risque implicites se situent principalement dans une fourchette comprise entre 7 % et 8 %.

Nous observons une augmentation constante de la moyenne des primes de risque retenues par les experts indépendants AMF depuis 2010 (6,2 % en 2010, 6,6 % en 2011 et 7,4 % en 2012). Cette augmentation traduit à la fois les conditions actuelles du marché et, dans une moindre mesure, le choix des experts indépendants qui restent fortement concentrés sur un nombre réduit d’acteurs dans la mesure où ces derniers utilisent des sources différentes.

Le choix de la prime de risque de marché doit également être conduit par les facteurs implicites et qualitatifs déterminant les niveaux de primes de risque de marché. Il s’agit principalement de l’aversion au risque des investisseurs, situation économique du pays, liquidité du marché, incertitude dans les décisions politiques (notamment liée à la fiscalité…). Ces critères doivent également considérés dans le choix final de la prime de risque à utiliser.

Les primes de risque de marché retenues par les banques sont traditionnellement plus élevées et sont, en moyenne, elles aussi en augmentation depuis 2010 (6.9 % en 2010, 6.7 % en 2011 et 7.5 % en 2012). Les sources utilisées sont régulièrement internes aux banques présentatrices, mais elles sont parfois externes (Detroyat, Associés en Finances, Factset, Bloomberg notamment).

Les primes de risques spécifiques

Les principales primes de risques spécifiques prises en compte dans le taux d’actualisation sont liées :

– Au risque Pays dès lors que les activités de la société sont réalisées dans différents pays avec des risques sous-jacents différents ; ainsi, les pays susceptibles de pratiquer une nationalisation conduiront les investisseurs à considérer une prime spécifique afin de traduire ce risque… Les données mises à disposition sur le site de la NYU Stern (A.Damodaran) sont souvent utilisées pour déterminer ces primes de risques spécifiques.

– Au risque de taille et/ou liquidité dès lors où la société étudiée présente une taille et/ou une liquidité plus faibles que celle de l’indice étudié pour le calcul de la prime de risque de marché. L’étude annuelle du cabinet Morningstar (ibbotson) est souvent utilisée pour déterminer la prime de taille adéquate. Dans les notes d’offre AMF, ce type de prime est généralement utilisée pour les capitalisations avoisinant ou inférieures à 100 M€. Ceci étant, certains évaluateurs ne retiennent pas de prime spécifique malgré la taille réduite de la société. En 2012, la prime de taille moyenne qui ressort des notes d’offre est de 2,6 % pour les experts indépendants et 2,1 % pour les banques. Le choix de la prime de taille devrait être effectué à l’aune du choix de la prime de risque de marché (différentiel à observer selon que l’évaluateur retienne une prime de risque calculée en référence du CAC40 ou d’un indice Smidcap par exemple).

– D’autres primes spécifiques sont parfois considérées, telles que, par exemple, pour compenser un business plan jugé trop volontariste ; dans ce cas, il conviendra de chiffrer ce risque dans le cadre de l’évaluation des cash flows afin d’éviter les primes spécifiques trop arbitraires. Ces primes spécifiques sont souvent pratiquées dès lors où le management de la société évaluée ne souhaite pas dégrader son business plan. Attention toutefois à ne pas considérer des risques qui devraient se situer à un autre niveau (ex. : un niveau d’endettement élevé qui devrait plutôt se situer dans le coût de la dette avec un spread plus important).

Nous avons pu observer qu’il n’existait pas de véritable consensus quant à la détermination de la prime de risque de marché. Néanmoins, dans le cadre d’une évaluation financière, il apparaît souhaitable de ne pas trop s’écarter des primes de risque implicites actuellement observées afin d’être cohérent avec le marché et des autres approches d’évaluation qui pourraient être mises en œuvre, en particulier les multiples boursiers. Il faut toutefois rester dans un cadre rationnel. Par exemple, une prime de risque « trop » élevée pourrait conduire à considérer un taux de rentabilité minimal irréaliste. De la même façon, le choix de certaines primes de risque historiques « peu » élevées risquerait de surévaluer les valeurs, a fortiori au regard du niveau actuel du taux sans risque. Il est donc important de justifier correctement du choix de la prime de risque de marché utilisée pour estimer le coût du capital. Le simple rappel de la source utilisée apparaît insuffisant afin de bien comprendre le raisonnement et les hypothèses de l’évaluateur. En outre, il convient de veiller à garder une certaine cohérence entre les différents paramètres du taux d’actualisation et à l’égard du plan d’affaires retenu dans les DCF.

Philippe Campos, Associé Afival, Expert près la Cour d’appel de Paris en évaluation d’entreprise et de droits sociaux

Article publié dans le Cercle Les Echos en janvier 2013.