Les transactions qui portent sur des actions (ou parts sociales) font l’objet de nombreux contentieux post acquisition. Dans certaines situations, l’acquéreur a pu avoir été trompé par le cédant au regard des informations qu’il aurait frauduleusement manipulées. Dans ce cas, si l’acquéreur victime du dol décide de ne pas faire annuler l’acquisition, il devrait pouvoir justifier d’une indemnisation sur le fondement de la perte de chance.
Fondement de la perte de chance
La perte de chance doit résulter de la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Lorsque l’acquéreur d’actions réclame une indemnisation fondée par la perte de chance, son préjudice correspond à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses. Ainsi, un acquéreur qui aurait été trompé au motif qu’une information importante a été cachée ou falsifiée (perte d’un client significatif, comptes annuels erronés, etc.) pourra considérer qu’il supporte un préjudice puisque dans des conditions normales, il aurait pu abandonner l’acquisition ou voir le prix d’acquisition diminuer. L’indemnisation pourra intervenir dès lors qu’il existe une probabilité (même faible) de n’avoir pas pu profiter d’une éventualité favorable. Par contre, l’indemnisation ne pourra pas être intégrale, à savoir égale à l’avantage qu’aurait procuré la chance si elle s’était réalisée ; cette limite ne signifie pas pour autant que l’indemnisation ne pourra pas être proche d’une indemnisation intégrale si la probabilité d’occurrence est élevée. Ainsi, l’amplitude de l’indemnisation qui résulte d’une perte de chance peut être importante.
Méthode d’estimation du préjudice
L’indemnisation doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudices supportés par la victime. En conséquence, l’évaluation devra se fonder sur la valeur de chaque évènement favorable qui sera pondérée par sa probabilité d’occurrence. Dans le cadre d’une cession d’actions, le préjudice correspond à une baisse du prix (évènement favorable), c’est-à-dire la différence positive entre le prix payé par l’acquéreur et celui qu’il aurait dû payer si les informations cachées avaient été connues.
Evaluation des évènements
S’agissant d’actions, l’évaluation des évènements sera réalisée à partir des méthodes d’évaluation usuelles (comparables, DCF, etc.). Il s’agit d’apprécier les conditions connues à l’origine qui ont conduit à valoriser les actions à hauteur du prix d’acquisition, puis à mesurer l’incidence des mauvaises informations susceptibles d’impacter les données de l’évaluation : trésorerie, EBITDA, etc. Il est raisonnable de considérer plusieurs scénarios en l’absence de certitude.
Probabilité d’occurrence
L’aléa attaché à la survenance d’une éventualité favorable s’apprécie à la fois en considérant : i) plusieurs scénarios qui peuvent affecter l’évaluation de l’évènement en retenant une approche multicritère (aléa de valorisation) ; ii) la probabilité d’occurrence en tant que telle qu’il convient de considérer pour chaque scénario (aléa de survenance). La probabilité d’occurrence doit être fondée sur des données statistiques ou à partir d’une analyse des éléments factuels et des circonstances de la transaction.
En conclusion, l’estimation d’une indemnisation fondée par la perte de chance d’avoir pu réaliser l’acquisition à des conditions plus avantageuses est un exercice délicat. Un expert financier pourra limiter l’incertitude ou le caractère arbitraire d’une demande d’indemnisation motivée par la perte de chance. Le rôle de l’expert financier sera également de présenter une étude rigoureuse et documentée par des données fiables et transparentes, mais aussi d’en présenter les limites afin qu’un Juge puisse apprécier le bien-fondé de la demande d’indemnisation qu’il pourra revoir selon son pouvoir souverain d’appréciation.
Article écrit par Philippe CAMPOS.
Article publié au Magazine des Affaires (Mai 2017). »